L'Alsace a écrit :Les dessous d’un retour
Même s’ils se refusent tous deux à établir un lien de cause à effet, le retour du défenseur serbe Milovan Sikimic fin décembre doit beaucoup à l’intervention financière de Bernard Graeff, ex-candidat alsacien au rachat du RC Strasbourg l’été passé. Explications.
Depuis des mois, les deux hommes s’étaient montrés d’une discrétion absolue sur le sujet. D’autant plus facilement qu’après sa marche arrière dans le processus de rachat du Racing fin juin, Bernard Graeff avait repris son poste d’observateur éloigné – pas tant que ça sans doute – et que Milovan Sikimic avait posé ses valises à l’Apollon Limassol (Division 1 chypriote). Mais dans le petit monde du RCS, tout finit toujours par se savoir. Même les secrets les mieux gardés…
Dès avant le retour du Serbe à la Meinau – en discussions depuis novembre et officialisé le 13 décembre -, l’information a filtré : l’accord privé passé entre eux en juillet a largement facilité la signature du défenseur central il y a un mois en Alsace, même si les deux protagonistes réfutent cette analyse.
« J’assumais une décision personnelle »
Petit retour en arrière : fin juin, Bernard Graeff et son fils Sébastien se portent candidats à l’acquisition d’un Racing en pleine déconfiture, menacé par une liquidation judiciaire finalement prononcée le 22 août. Après avoir repris l’entraînement sous les ordres de Jacky Canosi, l’adjoint de Laurent Fournier en 2010-2011 qui assure la transition au poste de coach, Milovan Sikimic, libre de tout engagement, est rentré en Serbie. Son ancien club, Guingamp, et Troyes se sont bien renseignés. Mais sans suite.
Seul Fréjus Saint-Raphaël (National) lui a adressé une offre ferme : un contrat de deux ans, assorti d’une année supplémentaire en cas de montée en Ligue 2. La proposition salariale (13 000 euros bruts mensuels) est belle, à peine inférieure à ce que percevait l’ancien capitaine du RCS à Strasbourg la saison précédente. « J’étais très content. Ça montrait que mes bons matches n’étaient pas passés inaperçus. M. Graeff m’a alors appelé pour me dire de ne pas signer à Fréjus et m’offrir, quand il serait devenu propriétaire, un bail de deux ans au même tarif qu’avant. Je ne le connaissais pas. Mais je connaissais sa capacité financière à reprendre le RCS. Au fond, j’avais toujours eu envie de rester à Strasbourg et je lui ai dit oui. »
On connaît la suite. Quelques jours plus tard, Bernard Graeff jette l’éponge. Entre-temps, Fréjus a engagé Pancho Abardonado. Sikimic se retrouve le bec dans l’eau. « M. Graeff m’a informé de son retrait par téléphone », n’a pas oublié le chouchou de la Meinau. « Mais il m’a tout de suite proposé de prendre à sa charge pendant deux ans, sur ses propres deniers, la différence entre mon futur salaire – où que je signe – et ce qu’il m’avait promis. Je ne lui demandais rien. Ne pas aller à Fréjus était une décision personnelle et je l’assumais. Mais il voulait absolument tenir son engagement. Le respect de la parole donnée est une chose rare aujourd’hui, particulièrement dans le foot. Je le remercie infiniment. »
Le défenseur axial ne bénéficie toutefois pas directement de la compensation pécuniaire accordée par l’homme d’affaires alsacien. « En fait, il a engagé ma femme dans son entreprise. Elle travaille pour lui dans la publicité et le commerce sur le marché serbe. La rémunération qu’il lui octroie est supérieure à ce que je perçois aujourd’hui au Racing. »
« Je n’ai jamais discuté salaire avec Frédéric Sitterlé »
Jusqu’à leur entrevue à Strasbourg le 30 décembre, Sikimic et Graeff ne s’étaient pourtant jamais rencontrés. « On a eu une approche magnifique », commente le néo-Racingman qui insiste sur un point capital à ses yeux : « Je ne suis pas revenu à Strasbourg pour l’argent, mais parce que j’aime la région et le club. Je n’ai jamais discuté salaire avec Frédéric Sitterlé. Il peut le confirmer. »
Certes. Mais quand bien même le Serbe assure que « le deal avec M. Graeff est une affaire privée qui n’a rien à voir avec le club », nul besoin d’être diplômé d’économie pour en déduire que jamais, sans doute, il n’aurait pu revenir dans le Bas-Rhin sans ce soutien financier extérieur. La preuve ? L’autre ex-Strasbourgeois de Limassol, Stéphane Noro, qui ne possède pas d’accord du même ordre avec Bernard Graeff, a repoussé l’offre récente du RCS. Le meneur de jeu a reconnu sans s’en cacher que le décalage était trop grand avec ses émoluments à Chypre…
Graeff « J’ai respecté ma parole »
Bernard Graeff n’était au départ pas très chaud pour évoquer son accord privé avec Milovan Sikimic. S’il ne s’y est finalement pas opposé, l’homme d’affaires ne tient pas à en faire une publicité démesurée. « Lorsque j’ai failli reprendre le Racing en juillet, François Keller, dont je voulais faire mon entraîneur, m’a tout de suite dit : « M. Graeff, il faut garder Sikimic. Il doit signer demain avec Fréjus. »J’ai appelé Milovan et lui ai donné ma parole qu’il serait reconduit deux ans à Strasbourg aux mêmes conditions que précédemment. Mais pour diverses raisons, je me suis retiré de la course au rachat du RCS. »
Comme le relate ci-contre l’ex-capitaine bas-rhinois, les deux hommes ne se connaissent pas à l’époque. Ils ne se découvriront que le 30 décembre, alors que le défenseur central s’est déjà entendu avec François Keller pour un retour en Alsace.
Dès l’annonce de son retrait estival, Bernard Graeff assure à l’ex-Guingampais qu’il respectera son engagement. Il assumera sur ses fonds propres, durant deux saisons, la différence de traitement entre le salaire du joueur et celui qu’il lui avait promis. « Pour ce faire, j’ai proposé d’engager la femme de Milovan. C’est elle que je rémunère. Elle fait en Serbie ce qu’on appelle de la veille concurrentielle », détaille le businessman alsacien. « Car il n’est pas exclu qu’un jour, notre société aille exploiter les marchés de l’Est. Le contrat qui nous lie est indépendant de la signature de Milo à Strasbourg dont je n’ai pris connaissance qu’après son officialisation. »
À ses yeux, l’accord passé avec le solide Serbe est, au-delà de l’aspect matériel, « d’une logique implacable. Egon Gindorf (Ndlr : président du Racing de 2003 à 2005 dont il a longtemps été l’employé et dont il est un ami proche) m’a appris à honorer mes engagements, même quand ils ne sont que verbaux. Croyez-vous que je me sentirais bien si je n’avais pas respecté la parole donnée à Milovan ? C’est d’une simplicité enfantine. »
Stéphane Godin