L'Alsace a écrit :Vraiment mort ?
Alors que Jafar Hilali semble déterminé à conduire le RCS à sa perte, l’environnement alsacien cherche désormais une solution alternative. Certains précédents existent qui permettent de croire que le club pourrait repartir en CFA.
Alain Fontanel est catégorique depuis plusieurs jours : « Une sanction appliquée à un club s’applique à toutes ses équipes, car elle s’applique en fait au numéro d’affiliation. Un redémarrage en CFA est donc impossible, malgré le titre de champion de CFA 2 de l’équipe réserve. » Sans doute l’adjoint aux finances de la Ville de Strasbourg a-t-il raison dans la théorie. Dans les faits, c’est peut-être moins évident. Et certains exemples du passé, dont Toulouse, passé de la Ligue 1 au National, semblent le démontrer.
Mais le plus significatif est sans nul doute celui de l’US Valenciennes-Anzin. En octobre 1995, le club nordiste, qui évolue alors en CN1 (National), dépose le bilan. Il est même mis en liquidation judiciaire en janvier 1996, mais un plan de reprise est alors validé. L’USVA, devenu le Valenciennes FC le 1 er avril, finit la saison et termine 3 e de son groupe. Le nouveau-né VAFC, certes rétrogradé administrativement en CFA en juin 1996, peut poursuivre sa route jusqu’à la remontée en Ligue 1. Entre-temps, les dettes ont été effacées.
Spielmann : « Les instances doivent nous aider »
À la LFP, on laisse la porte ouverte à ce scénario, tout en indiquant qu’il est « plausible, mais pas certain. En fait, ce qui plaide en faveur de Strasbourg, c’est que les finances de l’association support RCS, qui détient le numéro d’affiliation à la Fédération Française, sont saines, contrairement à celles de la SASP. D’ailleurs, Strasbourg a innové cette année : c’est le seul cas en France où l’association subventionne la section professionnelle alors que partout ailleurs, c’est l’inverse. Avec le numéro d’affiliation et l’abandon du statut pro, l’association peut se rapprocher de la Fédération qui, en concertation avec la Ligue d’Alsace, peut décider de faire repartir le club sous un autre nom. À quel niveau ? Difficile à dire. Le CFA n’est pas garanti, mais pas impossible non plus. »
Hier, le bureau de l’association support s’est réuni en urgence à Hangenbieten chez l’industriel Robert Lohr, actionnaire minoritaire du club dont le bras droit, Léonard Specht, champion de France 1979, est membre du conseil d’administration. Objet de ce déjeuner en comité restreint : la mort du professionnalisme à Strasbourg. Le président Patrick Spielmann avait pris les devants : « J’ai écrit jeudi aux présidents de la Ligue et de la Fédération, Frédéric Thiriez et Fernand Duchaussoy. Nous nous battons pour empêcher Hilali de nous emmener aussi bas qu’il le voudrait. Les instances du foot français doivent nous aider, faire en sorte que nous ne subissions pas ce que Hilali nous inflige. Si la loi a donné le numéro d’affiliation à l’association, c’est précisément pour préserver les racines du club et éviter ce qui nous arrive. Nous n’avons pas choisi Hilali. Et aujourd’hui, à cause de quelqu’un qui est venu faire une opération financière, s’est planté et a fait n’importe quoi sans jamais nous accorder de droit de regard sur ses décisions, nous devrions descendre en CFA 2 ou en DH et mettre la clef du centre de formation sous la porte ? Nous payons pour lui. Nos meilleurs jeunes vont partir et nous allons perdre des années d’efforts. Au centre, tout le monde panique. J’essaie de rassurer les gens en leur disant que nous cherchons un moyen pour que l’abandon du statut pro ne nous impacte pas trop. Je ne sais pas si nous réussirons, mais nous allons tout faire pour. »
Il est plus que temps d’envisager un plan B, seul à même de faire survivre un club centenaire.
Sitterlé a tout essayé
Frédéric Sitterlé s’exprime peu dans la presse, en tout cas plus depuis que Jafar Hilali l’a envoyé balader à deux reprises en 2010. Mais hier, il est sorti de son mutisme pour expliquer sa démarche de dernière minute, guidée par l’abandon imminent du statut professionnel : « Je me suis dit que s’il y avait une chance de sauver le club, il fallait y aller maintenant. »
Dès jeudi soir, le Haut-Rhinois a donc contacté J. Hilali. Ce dernier a alors refusé d’entamer les négociations avant le lendemain. Mais des échanges de mail ont eu lieu toute la journée de vendredi. « Il m’a dit en début de journée qu’il exigeait 8 millions d’euros, plus des bonus. C’est évidemment inimaginable. Un peu avant 17 h, je pense lui avoir fait une proposition honnête. Il l’a rejetée après quelques minutes. »
Dans le mail accompagnant son offre, détaillée ci-contre, Fred Sitterlé a pourtant prévenu le Londonien : « Le temps presse. Il faut sauver le club. Je ne pourrai pas faire plus. » De fait, après le refus de ce dernier, il ne fera pas plus. « Il ne serait pas raisonnable d’aller au-delà. S’il y a un investissement à faire, il ne doit pas être fait uniquement dans le rachat, mais dans le club. Indépendamment de la cession, il faut relancer la machine. L’avantage de ma proposition, c’est qu’elle donnait à Jafar Hilali une garantie bancaire sous 48 heures et un versement cash presque immédiat. Honnêtement, je n’aurais pas cru formuler une offre de dernière minute comme celle-là. Je pensais que Hilali trouverait une solution et que le club n’en serait pas là où il en est aujourd’hui. On parle de la fin du professionnalisme à Strasbourg. Ce n’est juste pas pensable. Mais ce vendredi, j’ai compris que Jafar Hilali était probablement déterminé à tout faire pour que le club ne s’en sorte pas. Maintenant, s’il a à sa disposition une offre supérieure à la mienne, alors tant mieux. Parce que si quelqu’un a des moyens supérieurs aux miens pour sortir le Racing de l’ornière, je ne peux que l’encourager. »
Vers une guerre totale
« Sans professionnalisme, le club est en faillite. » C’est Jean-Claude Calisesi qui le dit. Et sauf surprise, ce sera le cas dans quelques jours. Car on voit mal ce qui pourrait et surtout qui pourrait arrêter Jafar Hilali dans sa volonté d’emmener tout le monde dans les prétoires. Même l’adjoint strasbourgeois aux finances Alain Fontanel ne voit plus guère d’issue à une situation chaque jour plus conflictuelle. « Il est très probable que plusieurs acteurs aillent devant les tribunaux. Jafar Hilali a dit jeudi à la sortie de la DNCG qu’il était prêt à étudier des offres sérieuses et à demander une dérogation pour conserver le statut pro pour avoir ainsi le temps de les discuter. Là, il y a deux offres. Il a dit non à l’une d’elle en quelques instants. Ça interroge évidemment sur ses intentions réelles. Il avait aussi dit qu’il vendrait le club et que ça sauverait le statut pro. Il n’en est rien une fois de plus. La valeur du Racing a encore diminué avec la fin du professionnalisme et il est probable qu’il n’y aura plus d’autres offres. Hilali, qui reste président et doit en assumer les responsabilités, ne prépare pas la saison prochaine. Il n’a plus ni joueurs, ni entraîneur. Les sponsors s’en vont. C’est quand même assez étonnant de voir un président dévitaliser son entreprise. Ça fait un peu penser à ces chefs d’entreprise qui cherchent la nuit à faire partir l’entreprise en catimini, à ne rien laisser et à abandonner les supporters, le stade et les salariés. »
Pour Henri Ancel, qui fut le médiateur nommé par la Ville dans les vaines négociations menées avec Hilali de fin décembre 2009 à mars 2010 et qui a coordonné l’offre de Frédéric Sitterlé, les intentions du Londonien sont claires et diaboliques : « Son seul objectif est d’entraîner le club au dépôt de bilan et d’en faire porter la responsabilité aux autres, alors qu’il est le premier responsable. Il vient d’ailleurs de le démontrer une fois de plus en rejetant en quelques minutes une offre inespérée pour lui compte tenu de l’état de délabrement du club, à hauteur de ce que lui avait payé en décembre 2009 à Philippe Ginestet. »
De fait, comme le prédit A. Fontanel, le toujours patron du RCS exigera sans doute « réparation » devant les tribunaux. Mais il ne sera par le seul. Par son comportement erratique depuis des mois, J. Hilali a aussi fourbi les armes de ses adversaires.
Rétrogradation en vue
Avec l’abandon du statut professionnel, la DNCG de la Ligue pensait refiler le bébé strasbourgeois à son homologue de la Fédération et la laisser statuer. Mais après l’audition surréaliste des propriétaires londoniens jeudi, elle envisage sérieusement de rétrograder elle-même le club en CFA.
La Direction nationale du contrôle de gestion de la Ligue de Football Professionnel ne communique jamais sur les verdicts qu’elle prononce. Mais il peut lui arriver de s’étonner de ce à quoi elle est confrontée lorsqu’elle examine le dossier d’un club. À en croire une source proche de l’organe de surveillance financière, l’audition de jeudi du président du Racing Jafar Hilali et de son homme lige à Strasbourg, Christophe Cornelie, restera dans les annales.
Les membres de la DNCG ont senti les deux hommes « peu concernés » et Hilali « déterminé à aller jusqu’au bout, autrement dit à emmener le club à la mort ».
L’audition n’aura duré que 40 minutes
Le gendarme de la LFP a pourtant tenté de convaincre le Londonien que pour son propre bien, « il était préférable de garder le statut professionnel et de faire en sorte que la mariée soit la plus belle et présentable possible pour faciliter le processus de revente. Mais ça n’a pas eu l’air de l’émouvoir. L’audition n’a pas duré 40 minutes. C’est plus de deux fois moins que la durée habituelle. Ça prouve qu’il n’y avait en fait pas grand-chose à dire. Sans doute parce que les choses sont claires. »
Elles le sont tellement que la DNCG, qui se préparait, après l’abandon du statut professionnel, à transmettre sans rien décider le dossier strasbourgeois à son homologue de la Fédération - qui gère le foot amateur - devrait revoir sa position.
Jusqu’en CFA 2 ?
Avant même que son cas ne soit décortiqué par la commission fédérale de contrôle, le RCS aura sans doute déjà été rétrogradé en CFA. « Les perspectives sont tellement sombres et la situation tellement catastrophique qu’il y a des chances que nous rétrogradions nous-mêmes le Racing », laisse-t-on entendre à la Ligue, tout en précisant que « la décision n’est pas prise. Mais le simple fait de vouloir équilibrer le budget 2010-2011 avec 4 millions de vente de joueurs avant le 30 juin alors que le statut pro sera abandonné le 1 er juillet suffit pour que nous engagions des sanctions. Simplement, si cette tendance se confirme, la décision ne sera prise que dans une semaine ou deux. Le temps d’auditionner tous les clubs, ce que nous faisons actuellement, et, ainsi, de pouvoir appliquer un panel de sanctions cohérent après avoir analysé toutes les situations. »
Que se passera-t-il ensuite ? Si la rétrogradation est prononcée par son homologue professionnelle, la DNCG fédérale ne pourra alourdir la sanction. En revanche, une descente supplémentaire d’un étage (jusqu’en CFA 2 donc) s’appliquerait si le RCS déposait le bilan.
Hilali casse son jouet
Alors que la Ligue n’avait pas reçu hier à 19 h de demande de dérogation pour garder le statut pro, Jafar Hilali a rejeté une offre de rachat formulée par l’homme d’affaires alsacien Frédéric Sitterlé et n’a pas répondu à une autre expédiée par le Nancéien Jean-Claude Calisesi. Le président du RCS semble déterminé à briser le club pour que plus personne n’en profite.
Dans la situation du Racing, avec des cadavres planqués dans tous les placards et particulièrement dans ceux de la justice prud’homale, voir tomber deux offres de rachat en moins de 24 heures aurait pu être considéré par Jafar Hilali comme une aubaine inespérée. Que nenni !
Le trader de la City londonienne a opposé une fin de non-recevoir à celle formulée par l’homme d’affaires parisien, mais Alsacien pur jus, le Blodelsheimois Frédéric Sitterlé, et n’a pas donné suite, du moins pour l’instant, à celle du Nancéien Jean-Claude Calisesi, plus élevée, mais aussi beaucoup plus aléatoire.
Depuis des mois, F. Sitterlé était resté dans l’ombre. Lassé de s’être fait balader par Jafar Hilali durant des semaines au début de l’année 2010, puis d’avoir été pareillement éconduit en juillet dernier après avoir offert d’injecter 2 millions d’euros pour voler au secours d’un club à l’époque rétrogradé administrativement en CFA, il s’était volontairement tenu à l’écart des négociations pour le rachat du Racing menées par divers repreneurs ces dernières semaines.
Hier, il est pourtant sorti de sa réserve lorsqu’il a compris que la mort du football professionnel à Strasbourg était imminente (voir ci-contre). Peu avant 17 h, il a formulé une offre ferme « tout à fait correcte compte tenu du contexte » : 1,6 million, plus deux bonus de 1 million en cas de remontée en Ligue 2 dans les deux ans et en L 1 sous quatre années. Il s’est aussi engagé à fournir une garantie bancaire dans les deux jours ouvrés pour une vente définitive avant le 20 juin.
Calisesi veut voir avant de payer 5 millions
La réponse du président Hilali est revenue quelques minutes plus tard comme un boomerang, comme un couperet aussi : « Je viens de parcourir ton offre qui est trop loin de mes prétentions. Je pense qu’après une dizaine d’e-mails, il faut mettre un terme à cette négo pour ne pas perdre plus de temps. » L’homme de Londres a ainsi une nouvelle fois prouvé que le « TSS » (Tout, sauf Sitterlé) est chez lui une règle d’or à laquelle il ne déroge jamais.
La veille, le Nancéien Jean-Claude Calisesi, porte-parole d’un dossier soutenu par un autre Nancéien, Francis Queudot, et un mystérieux investisseur alsacien, avait proposé un montage plus alambiqué. Trop, assurément, aux yeux de J. Hilali. « Nous avons fait une offre haute, avec plusieurs tiroirs : 5 millions d’euros, plus un bonus de 1,5 million en cas de remontée en Ligue 2 dans un délai à discuter. »
Seulement, cette proposition, bien supérieure au prix du marché, est soumise à conditions. « Nous voulons faire l’affaire, mais pas sans le statut pro, parce qu’il n’y aura plus d’équipe », exige le Lorrain, « Nous voulons aussi voir s’il y a des cadavres dans les placards et, si oui, combien. Si Hilali ne les ouvre pas, il ne touchera pas un centime. En clair, nous voulons prendre le contrôle du club durant quatre mois au moins pour vérifier si le prix que nous offrons se justifie et le payer seulement après cette vérification. »
Jafar Hilali, qui souhaite du cash, n’a même pas répondu. Il est peu probable qu’il le fasse, peu probable aussi qu’il demande in extremis à garder le statut pro. Hier, peu après 19 h, la Ligue n’avait reçu aucune demande en ce sens. « Si la fin du professionnalisme se confirme, je ne peux pas imaginer de lui donner le numéro d’affiliation pour qu’il puisse se réinscrire en championnat », se désole le président de l’association support Patrick Spielmann.
N’est-ce pas précisément ce qu’espère Hilali ? Calisesi en est persuadé : « S’il ne conserve pas le statut pro, il fera des procès à tout le monde pour récupérer son fric. » Le refus du numéro d’affiliation lui fournirait le meilleur des prétextes.
Stéphane Godin