DNA a écrit :« Le refus de nourrir le moindre complexe »
Il est la figure emblématique du titre de 1979. Guère enclin à la nostalgie, Gilbert Gress se consacre généralement par circonvolutions au souvenir marquant d'un club qui l'a toujours passionné. Le technicien a accepté de donner quelques impressions sur la madeleine du foot alsacien. Trente après. Trente ans déjà .
- Lorsque vous revenez à Strasbourg, en 1977, vous avez entamé votre carrière d'entraîneur à Neuchâtel Xamax. Quelles sont vos idées fortes, vos influences à l'heure où vous allez renouer avec un Racing qui retrouve la D1 ?
- Il y a eu un concours de circonstances pour mon retour (lire page suivante). Mais il est clair que le poste d'entraîneur a toujours été un rôle que j'envisageais durant ma carrière de joueur et donc déjà au Racing. L'entraîneur influence le déroulement d'un match et il y a quelque chose qui m'a toujours fasciné dans ce rôle. Cela m'a permis de rester jeune (sourire). Je me dis que quand j'aurais cinquante ans, je ferai ceci ou cela. Pour l'instant, à force d'avoir côtoyé les jeunes par le biais de ma fonction d'entraîneur, je n'en ai que quarante (il a fêté en décembre dernier ses 67 ans en fait, ndlr).
« On a réussi notre recrutement et on s'est mis au travail »
Pour revenir sur ma formation d'entraîneur, j'ai toujours observé le foot de haut niveau. Et j'ai d'ailleurs souvent répété à mes joueurs l'intérêt de regarder les grandes équipes. Assister à des rencontres importantes à la télévision pouvait plus servir qu'un entraînement. Par rapport à mes influences, les footballs allemand et hollandais constituaient les deux modèles. Et, franchement, j'avais une préférence pour l'approche totale des Hollandais. Je me suis toujours appliqué à en respecter les principes. Pour le match décisif remporté à Lyon, pour le titre, Specht a été l'auteur d'un doublé de passes décisives. Cela n'est pas dû au hasard.
- Comment s'est déroulé le rapprochement qui a conduit à reprendre l'équipe strasbourgeoise ?
- Ça faisait un moment que je n'avais pas assisté à une rencontre à la Meinau et les dirigeants m'ont invité pour un match de coupe, face à Nantes lors de la saison 1976-1977. Le Racing l'avait emporté 3-0, face au futur champion de France, dans le sillage d'un très bon Osim. Je me suis simplement dit qu'en produisant ce type de rencontre à 15 ou 18 reprises dans la saison plutôt que deux ou trois, le Racing s'en sortirait.
- Quel regard portiez-vous sur l'organisation du club ?
- Partout où je suis passé, je me suis retrouvé dans des clubs qui n'avaient pas d'argent. Sur ce plan-là , il n'y avait rien de surprenant ni de problématique. Mais il y avait aussi tous les éléments pour réussir avec des dirigeants qui se comportaient de façon très professionnelle, malgré le manque de moyens. On a parfaitement réussi nos recrutements. On nous décrivait Novi comme un vieux cheval sur le retour et il réussit une saison exceptionnelle. On nous disait que Piasecki était dur à gérer et il a été l'auteur d'une grande saison. On s'est mis au travail.
« On peut considérer que l'on avait trente ans d'avance »
- Avec donc des idées de jeu très fortes en tête...
- Le principe, c'est que tout le monde attaque, tout le monde défend. On peut considérer que l'on avait trente ans d'avance. Lorsque l'on regarde le Barça d'aujourd'hui et l'activité défensive d'un Messi ou d'un Eto'o, on peut y retrouver des similitudes. Mais il faut aussi constater que des joueurs comme Revelli ou Berretta à Saint-Etienne se pliaient déjà à ces consignes. Je veillais aussi à éviter au maximum que l'on concède des coups francs inutiles.
- Où situeriez-vous les autres différences dans la manière de fonctionner strasbourgeoise en cette saison de rêve ?
- On avait incorporé le principe de la mise au vert, en vigueur en Allemagne. Mais je crois surtout que la clef, le principe essentiel respecté, c'est le refus de nourrir le moindre complexe, aussi bien d'infériorité que de supériorité. Les Allemands abordent une rencontre face au Liechtenstein ou au Brésil avec le même état d'esprit.
- S'il s'agissait de revenir sur un match ou un joueur de cette saison, que retiendriez-vous ?
- Le match de Lyon est quand même la référence. C'est un moment décisif, à l'extérieur, chez le 5e du championnat. Il y a la victoire à Lille (1-2) qui est aussi très significative ou le succès face au PSG (3-0) à la Meinau, devant un stade plein.
« Je leur ai demandé 100 %, ils ont donné 120 % »
C'est l'une des principales satisfactions que j'ai eues aussi, en discutant après avec des acteurs de la saison que j'ai croisés par la suite, Jean Fernandez ou Pascal Janin par exemple. Le rendez-vous face au Racing constituait un cauchemar pour eux à l'avance parce qu'ils savaient qu'en face, il y aurait des gars qui ne lâcheraient rien. Et il faut constater que c'était le fait des joueurs et d'eux seuls. Raymond Domenech l'a souligné lors des récentes célébrations du 30e anniversaire (à l'occasion du match Racing - Metz il y a quelques semaines, ndlr). Les joueurs ont fait preuve d'une certaine bêtise. Je leur ai demandé 100 % tout au long de la saison et ils ont donné 120 %. Il y a des moment où ça m'a fait peur, lors de la préparation à Grunberg par exemple. En la matière, un joueur comme Deutschmann, qui n'avait rien de spectaculaire et respectait scrupuleusement les consignes, c'était vraiment un atout majeur. Et je repense aussi souvent à Tanter. A la veille du match, il arrivait à peine à marcher et le jour J après quelques soins avec le docteur Spruch, il était exceptionnel.
- Dans ce cadre-là , on a beaucoup parlé de la préparation physique à laquelle vous soumettiez les joueurs. Considérez-vous qu'il s'agit aussi d'une des clefs de la réussite ?
- Cela me semblait un minimum. Je ne comprends pas les entraîneurs qui ne se soucient pas de ce travail physique. Ils ont été joueurs pour la plupart. Ils savent les besoins du footballeur de haut niveau, ils sentent la forme du moment.
« Je voulais influer sur le cours des choses »
- Comment vit-on le rapport intime que vous entretenez avec ce Racing, l'image de cette réussite à laquelle vous êtes définitivement associés ?
- Contrairement à ce que l'on peut imaginer, je n'ai jamais été dans l'image ou la gloire. Je me suis toujours efforcé d'être dans l'action, d'être dans ce rôle d'entraîneur qui se partage entre deux missions essentielles, pour 50 % de gagner, pour 50 % de donner du bonheur aux gens. Je voulais influer sur le cours des choses. Il y a eu des conditions idéales pour que le club réussisse. Et c'était le club qui m'a toujours fait vibrer et pour lequel j'ai plus pleuré que souri durant des années.
Propos recueillis par François Namur