Le Belge raconte comment il est devenu un bourreau de travail. Au point de s’affirmer aujourd’hui à Strasbourg comme l’un des meilleurs gardiens de l’élite.
STRASBOURG – Sous une averse prononcée, hier midi, la voix de l’entraîneur des gardiens, Jean-Yves Hours, s’élève devant la Meinau. « La machine arrive », lance-t-il. Après l’entraînement, Matz Sels ne presse pas le pas, dans un jogging vert qui fait tiquer le technicien. « C’est parce que je vais signer à Saint-Étienne », rigole le Belge (27 ans). Sous son 1,89 m taillé dans le roc, Sels reprend vite son sérieux. « Je n’aime pas parler trop de moi », pose-t-il d’emblée, sans fausse modestie. Le mentor Hours est resté à côté de lui pour l’occasion, afin d’assurer la traduction si les mots ne viennent pas chez le Flamand. Mais son élocution est bonne et son discours maîtrisé pour ne froisser personne. Il transpire l’ambition de celui qui aime le travail, mais seulement quand il est bien fait.
«Quand Jean-Yves Hours vous qualifie de “machine“, ça vous plaît ?
(Gêné.)Oui, mais ce que les autres disent de moi, ce n’est pas important. Je sais que c’est positif, mais j’essaie juste de faire mon truc. Il y a des gens qui aiment, d’autres non, certains vont parler derrière ton dos, c’est comme ça. Et il y a une autre machine ici.
Qui donc ?
Eiji(Kawashima). C’est un exemple, il est toujours à la salle. J’ai été son troisième gardien à Lierse, à 17 ans. Maintenant, les rôles ont changé. Il y a Kader (Mangane, le coordinateur sportif) aussi, qui est toujours à la muscu (rires). Dans notre groupe de gardiens, on se pousse tous entre nous, sans méchanceté. Bing (Bingourou Kamara)a fait une belle Coupe de la Ligue l’an dernier (remportée par le Racing),on était derrière lui.
On vous décrit comme un acharné de la salle de muscu. Est-ce le cas ?
Non, pas vraiment. J’essaie de travailler du mieux possible, je sens que je suis bien avec cette dose-là. J’ajoute une ou deux fois par semaine des séances en plus, où je reviens l’après-midi, après ma sieste. C’est pour de l’entretien, pas pour développer mes muscles. Je travaille l’explosivité, sur les jambes, les sauts, des petits pas, des sprints. Je fais des poids aussi bien sûr. Mais il faut trouver l’équilibre entre la force et l’explosivité. Quand j’ai débuté, on soulevait des barres, maintenant ce n’est plus ça, il y a d’autres méthodes.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous imposer ces séances ?
Je le fais parce que je me sens mieux en match, depuis longtemps. Ce n’est pas quelqu’un qui m’a donné l’exemple, c’est plus mon ressenti qui a fait que j’y ai pris goût. Je me pousse pour le faire, ce n’est pas par plaisir, mais c’est important. Si tu ne le fais pas sur certaines semaines, tu ne vas pas t’améliorer. Je n’aime pas me dire, après coup, que je n’ai pas fait tout ce qu’il fallait. Je ne veux pas être déçu, me morfondre en disant que je n’ai pas fait le maximum.
On a l’impression que vous êtes toujours tranquille, apaisé.
En dehors, je suis tranquille, pas du tout extraverti. À l’entraînement, c’est différent. Si je vois qu’on n’est pas à cent pour cent, je le dis. Je veux toujours qu’on donne tout, c’est l’esprit compétiteur. Donner le maximum, c’est le minimum. Je ne suis pas très expressif, mais de temps en temps, je montre ma joie.
Votre sobriété vient de votre éducation ?
Oui je pense, des valeurs qu’on m’a données. Peut-être un peu trop… (rires) Un peu trop ?
De temps en temps, j’aimerais bien être un peu plus… (Il agite les bras puis se reprend)Non, en fait, je reste sobre. Le calme, c’est moi. Ce n’est pas bien d’être fou, parce qu’après, tu peux blesser. Ce n’est pas bien de plonger dans les pieds à chaque ballon. Quand j’étais jeune, à chaque fois “boum”, j’étais kamikaze. Maintenant, je gère différemment.
Donc, vous êtes une machine qui réfléchit ?
J’essaie d’analyser les choses. Allez, oui, une machine qui réfléchit ça me va ! De toute façon, un gardien qui ne réfléchit pas fera des erreurs.
Avez-vous eu une inspiration ?
Iker Casillas. À 18 ans, il jouait déjà avec l’équipe A du Real, il reste mon idole. Il est sobre sur la pelouse et en dehors. Quand il a débuté, il venait avec sa petite voiture au Real, il restait à sa place. Il m’a beaucoup inspiré.
Donc si un jour, vous signez au Real, vous garderez une petite voiture ?
Ah non, maintenant, les clubs donnent les voitures donc ce n’est plus un problème (rires). Mais je connais le foot : aujourd’hui ça marche bien, mais peut-être que demain, non. Il faut éviter de prendre la grosse tête, ça peut se retourner contre toi. J’ai connu les deux côtés. Je suis bien maintenant, mais j’ai connu les galères en Belgique, en Angleterre. Après, je ne regrette jamais un choix. À Newcastle, ce n’était pas bien pour moi, mais j’ai appris. Je n’étais peut-être pas prêt pour ça, tout simplement, pas bien dans ma tête.
Comment avez-vous réagi ?
J’ai travaillé, encore plus, pour revenir plus fort. En Belgique, quand j’étais à Lierse(de 2010 à 2013), je n’ai pas joué pendant six mois (en raison d’un différend avec le club). J’ai bossé comme un fou, et derrière, j’ai vécu la meilleure période de ma carrière, même mieux que maintenant. J’avais 21 ans, c’est peut-être là que j’ai eu un déclic pour le travail. J’ajoutais trois ou quatre séances par semaine, j’étais un monstre.
Et plus maintenant ?
Si mais différemment. Je suis focalisé sur le match suivant à chaque fois. On fonctionne avec des objectifs précis. Je dose mes efforts.
Hier, vous avez prolongé à Strasbourg jusqu’en 2024. Mais vous pourriez viser plus haut…
Je suis très bien ici. J’aime la ville, ce stade toujours plein, avec beaucoup d’ambiance. On cherche toujours à aller plus haut, mais on verra.
Il vous reste à faire oublier José Luis Chilavert, en tant que gardien étranger dans la légende populaire du Racing…
Oui, il me manque seulement les coups francs. Si je veux devenir une légende ici, il faut que je les tire (rires).»