Le départ d’un seigneur
Felipe Saad, entre Jérémy Blayac (à gauche) et Marc Keller, ne laissera que des bons souvenirs en Alsace.
Le défenseur brésilien Felipe Saad ne prolongera pas son aventure avec le Racing Club de Strasbourg. Avec lui, c’est une conception originale du football qui s’efface.
En dépit de son utilité dans la première et la dernière lignes droites, malgré l’enchaînement des bonheurs qui ont ponctué ses deux saisons au Racing, Felipe Saad ne verra pas son contrat prolongé au Racing.
Comme un signe qu’il ne s’agit pas d’un joueur comme tant d’autres amenés à quitter le bateau strasbourgeois, la direction du club lui a proposé un projet de reconversion.
Or, le garçon est Brésilien et a disputé moins de 60 matches sous le maillot bleu. Mais le natif de Santos n’est vraiment pas un professionnel comme un autre.
Amoureux de la FranceS’il écume les clubs de l’Hexagone depuis dix ans – Guingamp, Evian-Thonon-Gaillard, l’AC Ajaccio ou Caen –, ce n’est pas par hasard. Lorsque la perspective de quitter son Brésil natal pour la France a pu se concrétiser, le défenseur de 33 ans n’a pas caché sa joie: il allait pouvoir enfin «visiter le Louvre».
Ce fils de bonne famille a posé ses valises dans un pays dont il chérit la culture. Il n’envisage pas encore de retraverser l’Atlantique dans l’autre sens.
À Strasbourg, il n’était pas rare de le croiser au TNS, à l’Opéra, dans les caves des Hospices Civils ou à la SIG.
Accessoirement, il n’a jamais dépareillé dans le vestiaire. Sa formation au Brésil l’a confronté à la misère de certains de ses coéquipiers, apprentis footballeurs pour nourrir leur famille.
Le caméléon Saad s’est refusé à incarner un joueur à part. D’une civilité absolue une fois le match terminé, s’exprimant dans un français délicieusement châtié, il sait faire preuve du vice le plus affirmé pour faire gagner son équipe.
À Reims, il n’était pas mécontent d’avoir peut-être contribué au penalty raté de Kyei à la dernière minute, synonyme d’un précieux nul en Champagne en avril, en défaisant discrètement un lacet de la chaussure du tireur. Lorsque l’attaquant d’en face s’avérait trop rapide, Saad n’était pas contre une petite gifle ou un tirage de maillot…
« Lundi était un peu triste »La saison prochaine, il faudra peut-être bel et bien se le coltiner dans le camp d’en face. «Je suis encore dans la joie du titre qu’on a décroché vendredi, dans le bonheur de cette conquête avec le Racing, a-t-il indiqué hier. Mais c’est vrai que lundi était un peu triste pour moi et mes coéquipiers qui ont appris qu’ils ne seront pas conservés.»
Cela n’a pas empêché celui qui est monté dans l’ascenseur pour la Ligue 1 en 2011 et en 2014 de rejoindre Paris où une chaîne de télé cryptée l’avait invité depuis longtemps.
«Je m’étais engagé depuis plusieurs jours, je ne me voyais pas décommander, explique-t-il, dans le train du retour. Le choix du Racing de ne pas me garder vient rapidement. Je ne me suis pas encore projeté. Je vais réfléchir, reposer mon corps.»
Il n’est pas encore question de céder à cette petite mort qu’est la retraite sportive. Marc Keller et la direction du club lui ont donné quelques mois pour accepter ou non le projet de reconversion. Pour l’heure, il n’est pas décidé.
Mais sa relation à la France n’est pas prête de se briser. «Je viens de déposer un dossier pour demander ma naturalisation, révèle-t-il. Mon fils est né ici. Cela va peut-être faire pleurer ma mère, mais oui, je me sens Franco Brésilien.»
Quant à la suite à donner à sa carrière, il n’en a pas la moindre idée. «L’image ne fait pas tout», conclut-il à l’évocation de certains arguments. La sienne est celle d’un chic type qui laissera un souvenir heureux sous le soleil d’Alsace.